Petite critique des critiques

Publié le par williamlaboury

A force d'écouter parler des critiques de cinéma à la télé et à la radio, j'ai eu envie de monter une espèce de topologie de leurs défauts, pour mieux les saisir et essayer d'avoir plus de recul sur leurs avis. Vu l'étendu du domaine, j'ai préféré m'appuyer uniquement sur l'émission radio Le Masque et la Plume, mais on retrouve les mêmes tendances ailleurs, dans des émissions comme Le Cercle (Canal+).

Le Masque et la Plume c'est une émission de critique culturelle consacrée chaque quinzaine au cinéma, le dimanche à 20h sur France Inter. Sur 50 minutes, une équipe de 4 ou 5 critiques issus de la presse "débattent", selon une conception particulière du débat, autour des films en salle.

On y trouve Jean-Marc Lalanne, journaliste aux Inrockuptibles (photo1), Xavier Leherper de Cinélive (photo2), Alain Riou du Nouvel Observateur (photo3), Pierre Murat de Télérama, Danielle Heymann de Marianne, Eric Nohof de Madame Figaro, et enfin Michel Ciment de Positif.

Jean-Marc Lalanne, Xavier Leherper, Alain Riou
Le tiercé gagnant.

Que France Inter ait une telle émission c'est génial pour entendre divers avis et donc se forger le sien, c'est pour ça que je m'apprête à dire du mal d'une émission que j'aime pourtant bien.
Parmi les films cités, je n'en ai vu que quelques uns mais peu importe : je veux avant tout pointer des défauts de méthode critique, plutôt que de blâmer des opinions.

Quand un critique de films va au cinéma toute la journée, j'imagine qu'il est tenté de commencer son travail avant la projection, histoire de le boucler plus vite. Ca peut se comprendre pour des films comme Astérix aux Jeux Olympiques qui annonce 6 mois plus tôt son gaspillage pour des apparitions de stars; c'est pas non plus une raison pour préparer sa démolition avant de l'avoir vu. Jean-Marc Lalanne (Les Inrocks) est expert dans cet art du préjugé : il demande à mettre Astérix au programme de l'émission histoire de se préparer une bonne partie de débâcle jouissive. Ecoutez l'extrait.



En entendant ça, on a tout de suite envie d'accorder moins de crédit aux commentaires des "spécialistes". Quand on voudrait entendre des avis forts et argumentés, on a plutôt droit à des jugements infondés et des termes vagues, comme l'indétrônable adjectif "intéressant". LE mot à tout dire, celui qu'on met pour finir sa phrase avant que l'autre nous coupe la parole, celui qui semble résumer tout mais surtout n'importe quoi. Ci-dessous un florilège de ses utilisations au Masque et la Plume. On pourra s'amuser a discerner son emploi sincère et justifié (c'est intéressant car ça suscite l'intérêt et la curiosité) de son emploi abusif (c'est intéressant car j'ai rien à dire sur ce film).



Mais même quand on a un argument pour descendre un film, il faut encore que celui-ci soit un minimum valable. A titre d'anti-exemple, le déchirant réquisitoire sans argument de Danielle Heymann (Marianne) à propos de Romain Duris dans Paris :



Et tout de suite après, une spectatrice du public
lui emboîte le pas dans sa folle course au non-argument :




En bref, n'allez pas voir Paris, car Duris reste sur son balcon et Binoche à un mauvais coiffeur.

Et sinon,
au Masque et la Plume, on n'a pas le droit d'être neutre devant un film. Qu'est-ce qui peut pousser des journalistes à vouloir se montrer aussi virulent, même en l'absence d'argument ?
Certainement l'ordre de passage. Il semble qu'on distribue la parole aux journalistes selon leur avis, pour permettre de rester dans une contradiction constante : "J'adore ! -Moi je déteste ! -Mais si c'est génial ! -Non c'est à chier ! "
Même si ce plan garantie cinq rebondissements par minute, il pousse les critiques à se caricaturer, parce que si Gédéon dit "bah c'est pas génial.." quand le journaliste concurrent vient de dire "c'est formidable !", ça fait un peu le mec qui n'a pas d'avis. Donc Gédéon va s'empresser de dire "Non, c'est une merde cosmique!!!" pour la simple et mauvaise raison que, euh...
Juliette Binoche est mal coiffée.
Les illustrations foisonnent, on peut par exemple écouter Xavier Leherper (Cinélive) sur No country for old men (très grand succès critique). Il cherche par tous les moyens à se montrer mitigé, jusqu'à changer d'avis lorsqu'Eric Nohof rejoint son point de vue en s'engouffrant dans la brèche "ce-chef-d'oeuvre-est-pas-terrible".



C'est valable dans l'autre sens aussi, lorsque pour une fois l'assemblée est unanime pour piétiner une merde, Jean-Marc Lalanne (les Inrocks) va se plaire à prétendre que Sans plus attendre est quand même sympatoche. "Regardez, moi je sais apprécier les films simples et médiocres." Je ne suis pas pour le conformisme, mais y'a quand même des limites.



Cette tendance de la contradiction, elle sert à quoi? Sûrement pas à sauver l'honneur d'un film. On peut deviner qu'une émission dans laquelle des critiques concurrents "débattent" peut vite tourner au concours de celui qui se fera le plus remarquer. Et même si dans ce domaine Jean-Marc Lalanne est déjà champion, la coupe du meilleur égocentrique revient sans doute à Alain Riou (Le Nouvel Obs') pour ses frasques ultra contradictoires. Voici trois morceaux choisis. Congratulation Alain, you're the One !!!






Loin d'être le seul amateur de cirque, il est suivi de près par Danielle Heymann ( de Marianne) dans une envolée frénétique dépourvue d'argument, à propos de Sans plus attendre, déjà cité.



Des fois il n'y a pas d'argument mais il y a des références : c'est pratique, ça fait intelligent et ça ne sert à rien, surtout si elles sont hors-sujet comme celles d'Alain Riou :



Mais plus sérieusement, il y a une chose plus grave que les petits jeux de mise en valeur personnelle. C'est la froideur, l'hermétisme des plus arrogants qui rejette certains films avec dédain.
De ce côté là, Jean-Marc Lalanne (les inrocks) a un vrai problème, particulièrement visible sur sa critique de There Will Be Blood, qui a reçu une reconnaissance unanime par les autres critiques de l'émission.
Ecoutons bien Jean-Marc :



Le problème de Jean-Marc Lalanne, c'est qu'il voit des chose qui ne sont pas dans le film. "Le mot CHEF-D'OEUVRE clignote", dit-il. Si on résume ses arguments contre le film : il ne comprend pas les partis pris scénaristiques, il ne supporte pas le cabotinage de Day-Lewis, il ne supporte pas d'avoir le sentiment d'être dans la tête d'un acteur, il ne supporte pas non plus le rapport du film avec son personnage. Tous ces JE dans sa critique, ça fait beaucoup de subjectivité finalement bien peu justifiée. Qu'est-ce qui peut bien le bloquer autant ? C'est quoi, son "problème physique et allergique avec le film" (selon ses mots) ?
Il me semble que son problème, c'est que tout le monde aime There Will Be Blood. Et qu'en étant aux Inrocks on n'a pas le droit d'être d'accord avec tout le monde. Au passage, les Inrockuptibles on titré "There Will Be Blood : faux chef-d'oeuvre" à la sortie du film.
En fait dans sa critique, Jean-Marc Lalanne fait preuve d'un vrai refus de se laisser happer, une sorte d'instinct qui le pousse à vouloir à tout prix sortir du moule, même au prix d'arguments sans valeur. Il cherche à se montrer plus fin en se refroidissant, alors qu'une des qualités du film c'est son pouvoir d'attraction. Sans toutefois l'ériger en principal intérêt du film (contrairement à ce qu'a fait Danielle Heymann).

Parce qu'au Masque et la Plume, il y a ceux qui regarde vraiment un film et en parlent en restant très proche de leurs émotions, quitte à te raconter le film au lieu d'en faire la critique, et il y a ceux qui utilisent souvent le mot "concept" et qui ont déjà un avis sur le film avant de l'avoir vu. Autrement dit ceux d'en-bas et ceux d'en-haut, et chacun change de catégorie selon l'humeur du moment.
L'auto remake Funny Games US par Mickael Haneke illustre bien cet affrontement entre les naïfs et les hautains :
Danielle Heymann, d'habitude critique d'en-bas (proche de ses émotions, pas d'analyse mais vraie sincérité) critique Funny Games US avec un mépris étonnant et accumule les procès d'intention : "j'espère qu'il n'y en aura pas un troisième en chinois", "je ne supporte pas, je ne supporte pas, et je ne supporte pas."
Pierre Murrat (Télérama) lui emboîte le pas dans le même registre : "la démarche d'Haneke est d'une complaisance totalement ignoble".
Mais... il l'a vu le film ?
Arrive ensuite Xavier Leherper (Cinélive) qui va briser l'hermétisme des critiques d'en-haut :



Xavier Leherper expose un commentaire personnel, sincère et naïf. C'est pas une vraie critique, ok, n'empêche qu'il s'est prêté au jeu, il est entré dans le film, et il rapporte ce qu'il en a ressenti.
Et au royaume de la mauvaise foi, je trouve que ça fait plaisir, malgré les insupportables réactions du type "Si tu as joui tant mieux pour toi, ou tant pis ","Tu tombes dans le piège tendu par Haneke".
Moi je pensais que justement, on allait au cinéma pour se laisser tomber dans des pièges...
En somme on lui reproche d'être entré dans le film, d'avoir accepté ce que propose le cinéaste. C'est triste, quand même.



Au final, malgré certaines analyse instructives souvent signées Michel Ciment -le seul qui ne prenne pas son pied à écraser un film- les critiques radios et télé demande de faire le tri entre mauvaise foi, préjugés, égocentrisme et hermétisme.
Alors quoi, est-ce que le monde va si mal ? Non ça va. Il y a juste des émissions de radio moyennement bien qu'on a quand même le droit d'écouter, et puis sinon au pire y'a des films qui sortent au cinéma.

Et si personne n'est là pour nous dire si les films sont bien ou pas,
est-ce que c'est forcément une mauvaise chose ?

Publié dans Films

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A
<br /> Je partage totalement la critique de Jean Marc Lalanne concernant le film "There will be blood".<br /> Je ne comprends absolument pas l'enthousiame générale pour un film aussi creux. Certes, il a une bonne prise de vue, une belle image et un bon son... Mais le reste, franchement... L'apologie de la<br /> violence et de la folie... C'est bon pour ceux qui n'ont pas grand chose d'autre dans la vie ! J'ai vraiment regretté de le voir. Je m'en serais bien passé.<br /> <br /> <br />
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F
J'aime beaucoup aussi aller au cinéma sans suivre les critiques et être neutre pour ne pas avoir d'avis forger et voir des fois des films que la critique nous amènerais pas voir.<br /> Le cinéma c'est aussi cela suivre ces envies.
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M
Un article étonnament intéressant, d'autant que je suis de temps en temps cette émission. Je m'Étais fait ce genre de remarques aussi, sans les formaliser. Dommage qu'on n'entende plus les sons, les liens vers les mp3 sont morts.<br /> Bravo
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G
Michel Ciment moi je le kiffe depuis que je l'ai entendu parler de Malick.<br /> Ah oui et de Lang aussi.<br /> Il est génial ce type. Et il est gentil aussi.<br /> (et j'ai eu sa femme comme prof d'anglais. elle porte des lunettes noires même quand on regarde du dreyer dans une salle au sous sol sans fenêtre. mais on s'en fout.)
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G
Un article très intéressant !
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